Le XIXe siècle connaît un renouveau de l’art religieux. La Révolution a vidé les églises de leurs tableaux, saisis et désormais intégrés aux collections des musées : il convient donc d’en orner les murs. La réalisation du décor de Saint-Germain-des-Prés débute sous la monarchie de Juillet (1830-1848), période propice aux commandes publiques de décors d’édifices civils et religieux. Pour ces commandes, l’État fait appel à des artistes représentant les différents courants artistiques de l’époque, sans sectarisme et de manière égalitaire.
Parmi les représentants de la tradition, on trouve François Joseph Heim dans la chapelle de la Vierge à Saint-Germain-des-Prés, située dans l’axe derrière le chœur, ou Paul Delaroche, créateur de l’hémicycle de l’école des beaux-arts de Paris. Eugène Delacroix, avec lequel le romantisme s’affirme, travaille à l’embellissement du Palais Bourbon et à des décors d’églises, le plus célèbre étant celui de l’église Saint-Sulpice à Paris.
La dernière tranche du décor de Saint-Germain-des-Prés est achevée sous le Second Empire (1852-1870), époque qui voit le triomphe de l’éclectisme et du réalisme. Hippolyte Flandrin a donc évolué à une époque riche de tendances artistiques très diverses. À Saint-Germain-des-Prés où il travaille sur trois décennies, il reste néanmoins constant, même si des influences différentes sont à noter selon les périodes.
Sources stylistiques des décors de Saint-Germain-des-Prés
Les sources contemporaines de l’artiste pour ce décor sont à chercher avant tout du côté de son maître Jean Auguste Dominique Ingres : La Montée au Calvaire, sur la paroi sud du sanctuaire, présente ainsi une citation de l’un des bourreaux du Martyre de saint Symphorien, un tableau d’Ingres. Flandrin a sans doute également étudié le travail de son condisciple lyonnais Victor Orsel à l’église Notre-Dame-de-Lorette à Paris. Parmi les modèles anciens, Raphaël est omniprésent, particulièrement dans la nef où l’artiste a voulu apporter plus de mouvement à ses compositions, alors que celles du sanctuaire et du chœur étaient plus statiques.
De nombreux contemporains de Flandrin (Orsel, le groupe des Nazaréens allemands) ont été séduits par les peintres italiens du XVe siècle, qualifiés de préraphaélites (ces artistes se situent en effet chronologiquement avant Raphaël et ne doivent pas être confondus avec les peintres britanniques préraphaélites du XIXe siècle), tel Le Pérugin et son Ascension du Christ du musée des Beaux-Arts de Lyon. Il faut chercher encore au-delà du Quattrocento les sources de Flandrin pour Saint-Germain-des-Prés : au XIVe siècle avec Giotto et même auparavant avec l’art paléochrétien et byzantin. À Rome et Venise, l’artiste lyonnais visite en effet les anciennes basiliques ornées de décors de mosaïques paléochrétiennes et byzantines. Les fonds d’or, les fausses mosaïques, le tétramorphe (représentation des quatre évangélistes sous leurs formes allégoriques, l’homme pour saint Matthieu, l’aigle pour saint Jean, le taureau pour saint Luc et le lion pour saint Marc), les décors végétaux et les apôtres hiératiques des deux premiers espaces de l’église décorés par Flandrin sont des caractéristiques qu’il leur emprunte.
À Assise et Padoue, le peintre a beaucoup admiré et assidûment étudié les fresques de Giotto, dans la basilique Saint-François et la chapelle des Scrovegni, qui, au-delà de la modernité des scènes représentées, mettent en place un nouveau type de décor global. À Saint-Germain-des-Prés se retrouve la même organisation du décor, mêlant grandes scènes figuratives, éléments décoratifs et trompe-l’œil, ainsi que la même voûte bleue étoilée qu’à Assise. Concernant les scènes figuratives, la dette envers Giotto s’exprime tout spécialement dans la disposition des figures de La Mort de Jésus-Christ sur le Calvaire. Peut-on penser que le choix de la cire par Flandrin a été influencé par Giotto, lui-même rénovateur de l’art de la fresque ?
L’artiste a donc su mêler le classicisme d’Ingres et de Raphaël au primitivisme de Giotto et de l’art byzantin, s’inscrivant ainsi dans la modernité de son époque qui vouait un culte au Moyen Âge.
Ce projet bénéficie du généreux soutien de FRench American Museum Exchange (FRAME), réseau dont le musée des Beaux-Arts de Lyon est membre, dans le cadre d’un programme de subvention d’urgence aux musées initié à l'occasion de la crise Covid-19.