Delacroix commente le tableau

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«  […] Qui ne se rappelle cette admirable Retraite de Russie, qui a été sa production la plus éclatante dans ce genre ? La conception de ce tableau est vraiment effrayante ; le cœur se serre devant cette immense solitude marquée çà et là par des formes humaines ensevelies sous la neige, sinistres jalons de cette marche désolée.

Charlet l'intitule modestement Épisode. Ce n'est pas un épisode, c'est un poème tout entier ; ce n'est ni la retraite de Ney, ni la Bérésina ; ce n'est ni Murat, ni Eugène, ni Napoléon lui-même, déjà disparu de ce lugubre théâtre, emportant sa part de l'horrible désespoir qui précipite ces cent mille malheureux : c'est l'armée d'Austerlitz et d’Iéna, devenue une horde hideuse, sans lois, sans discipline, sans autre lien que le malheur commun. Dans cette toile semée de détails poignans [sic], rien ne distrait l'esprit de la puissante unité de la conception, et l'exécution en est pleine de nerf et de vérité malgré ces tâtonnemens [sic] dont nous avons parlé. Ce qui conserve aux tableaux de Charlet autant de franchise qu'à ses autres œuvres, c'est qu'au lieu de retoucher des morceaux séparés ou de les compléter, il aimait mieux recommencer entièrement de grandes parties, et retrouvait ainsi pour finir tout l'entrain qu'il avait apporté, en commençant. […] »

Eugène Delacroix, Revue des Deux Mondes, n° 37, 1er janvier 1862, p. 234-242.