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Le plaisir au dessin

Introduction

"Il faut toujours rechercher le désir de la ligne, le point où elle veut entrer ou mourir". Henri Matisse

Du 12 octobre 2007 au 14 janvier 2008

Le motif de plaisir n'est pas réservé à l'esthétique classique. D'une manière ou d'une autre, il n'est pas d'art qui ne doive plaire. Le plaisir ne se réduit ni à l'agréable, ni à la jouissance. Il n'est pas de l'ordre du contentement, mais de la tension maintenue.

Il est plaisir de désirer : désir de la forme qui se cherche, désir de l'oeuvre qui s'expose. Montrer les gestes du dessin pour faire sentir en eux les élans de ce plaisir du corps dessinant, montrer aussi quelles formes, images, emblèmes du plaisir s'offrent à ces tracés, tel est le propos de cette exposition.

La sélection de près de 150 dessins est représentative de toutes les écoles et dans une période chronologique large du 16e siècle jusqu'à nos jours. Outre l'exploitation du Cabinet d'arts graphiques du musée des Beaux-Arts de Lyon, l'étude systématique des fonds des musées (Musée du Louvre, Musée National d'Art Moderne, Musée d'Orsay, Bibliothèque nationale de France, musées de Lille, Grenoble, Orléans…) effectuée pour cette exposition, permet de réunir un ensemble exceptionnel d'oeuvres et de proposer au public le plus large, une anthologie qui doit faire date.

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Parcours des 10 sections

Montrer les gestes du dessin pour faire sentir en eux les élans de ce plaisir du corps dessinant, montrer aussi quelles formes, images, emblèmes du plaisir s'offrent à ces tracés, tel est notre propos. Ainsi, l'exposition s'organise autour des 10 grandes sections qui suivent.

 

1. Le tracé, la ligne

B. MARDEN, The Muses Drawing, 1991-93
B. MARDEN
The Muses Drawing, 1991-93

Au commencement, il y a la division : le trait qui sépare et qui rend l'espace visible, sinon lisible. C'est la trace d'un mouvement qui ouvre une différence des lieux et qui l'inscrit avec son rythme, son allure : une ligne, c'est-à-dire une incision, un écartement, un élan et une échappée.

Il faut toujours rechercher le désir de la ligne, le point où elle veut entrer ou mourir. Henri Matisse

Rien n'appartient au trait, donc au dessin et à la pensée du dessin, pas même sa propre « trace ». Rien n'y participe même. Il ne joint et n'ajointe qu'en séparant. Jacques Derrida

 

2- L'espace ouvert, investi

P. Faccini, Deux têtes d'homme barbu, vues de profil
P. Faccini
Deux têtes d'homme barbu, vues de profil

La ligne se retourne sur soi ou bien en appelle d'autres. L'espace se dispose, il se rythme, il se peuple, il s'évide ou il se sature.

Dessiner est une métamorphose de signes qui changent d'aspect tels des insectes. Une métamorphose qui se répète toujours. Il n'y a pas de fin, pas de début. Il y a le sentiment d'aller, de venir, d'être toujours en route, de flux et de reflux. Pas de cadre évident, donc, mais plutôt un élargissement. Jan Fabre

 

 

 

3. Matières, touches, sensations

A. Magnelli, Pierres, 1931
A. Magnelli
Pierres, 1931

Les supports, les instruments et les techniques du dessin en varient les aspects, les valeurs sensibles et les effets – du crayon au lavis en passant par la plume, la mine d'argent, le fusain, la sanguine, le pastel. On montre ici ces variations sur des images de matières denses ou subtiles que le dessin donne à palper, à soupeser ou à effleurer.

Il s'arrêtait parfois pour contempler un mur où s'étalaient des crachats de malades, et il s'en inspirait pour les batailles de cavaliers, les villes les plus fantastiques, les pays les plus immenses. C'était la même chose quand il regardait les nuages dans la nuit. Giorgio Vasari

 

4. Le geste du dessinateur

C. Le brun, Jeune homme assis, dessinant
C. Le brun, Jeune homme assis, dessinant

Au commencement – encore – il y a le geste, c'est-à-dire non le seul mouvement, mais le dessin qui s'invente et qui se plaît à s'essayer, s'exerçant à saisir la fortune du trait. Dessinateur est celui dont ce geste s'empare et conduit la main. C'est souvent un enfant, et souvent les plus grands dessinèrent très jeunes.

Dans le restaurant de mon oncle, l'homme le plus gros de Suisse, se trouvaient des tables à plaque de marbre poli, offrant à leur surface un embrouillamini de veines. Dans ce labyrinthe de lignes, on pouvait discerner des contours de physionomies grotesques et les délimiter au crayon. J'en étais passionné et ma propension au bizarre s'y documentait. Paul Klee

Le génie du jeune Michel-Ange le portait au plaisir du dessin et il y passait à la dérobée tout le temps qu'il pouvait, ce dont son père et ses aînés le grondaient. Giorgio Vasari

 

 

5. De la main dessinante à la main dessinée

R. Trockel, Sans titre, 1987
R. Trockel
Sans titre, 1987

La main, deux fois sujet du dessin : c'est elle qui s'entend à le tracer, c'est elle que le dessin aime prendre comme motif. Il s'y plaît à lui-même.

Je sens ma main glisser sur le papier… Willem De Kooning

Vous rappelez mon esprit au métier, à l'importance de la main, ou à une certaine dextérité propre à indiquer, seulement par des à peu près, ce qui complète la vérité des figures… Eugène Delacroix

Dans les œuvres inachevées, on voit les restes du dessin et on surprend la pensée même de l'artiste et c'est une puissante recommandation que la douleur de sentir cette main arrêtée pour toujours au milieu d'un aussi beau travail. Pline l'Ancien

 

6. La forme qui se cherche

H. Daumier, Les lutteurs
H. Daumier
Les lutteurs

La mimesis n'est pas l'imitation ; le dessin ne reproduit pas une forme donnée, il produit – ou il laisse se produire – une forme où s'exprime le désir de voir naître la chose, de goûter à la joie de cet élan pour devenir « soi-même » sans s'identifier à rien. Le dessein est d'accompagner une formation sans fin.

En se cherchant, la forme qui s'esquisse peut se reprendre, ou se raturer, se corriger, ou se repentir, se différer, ou se mettre en réserve, s'exercer à ses propres variations. Elle se cherche, elle ne se trouve que comme son propre essai renouvelé.

Il se peut que le Dessin soit la plus obsédante tentation de l'esprit... Est-ce même de l'esprit qu'il faut dire ? Les choses nous regardent. Le monde visible est un excitant perpétuel : tout réveille ou nourrit l'instinct de s'approprier la figure ou le modelé de la chose que construit le regard. Paul Valéry

 

7. Soutenir l'insoutenable

C. Bandinelli, Etude de tête et d'écorché de tête
C. Bandinelli
Etude de tête et d'écorché de tête

Le désir de la forme pourrait être d'abord celui de donner accès à ce qui, de soi, nous rebute, voire nous répugne. Un informe, un sans-forme (un monstre, un chaos ?) menace au fond des choses, en deçà de la vie, au-delà de la mort. Le sexe et le cadavre sont les plus proches emblèmes d'une inquiétude, voire d'une angoisse que la main qui trace cherche à surmonter et à assumer en même temps.

Nous avons plaisir à regarder les images les plus soignées des choses dont la vue nous est pénible dans la réalité, par exemple les formes d'animaux parfaitement ignobles ou de cadavres. Aristote

Originairement, le « beau » ne désigne pas autre chose que ce qui excite sexuellement. Le fait que les organes génitaux eux-mêmes, dont la vue détermine la plus forte excitation sexuelle, ne peuvent jamais être considérés comme beaux, est en relation avec cela. Sigmund Freud

L'acte de copulation et les membres qui y concourent sont d'une hideur telle que, n'étaient la beauté des visages, les ornements des acteurs et la retenue, la nature perdrait l'espèce humaine. Léonard de Vinci

 

8. Passion du corps

J. Fautrier, Nu, vers 1944
J. Fautrier
Nu, vers 1944

Sujet du mouvement d'où naît la forme, le corps est aussi l'objet privilégié du dessin qui en tout motif – aussi bien hors de toute figuration – cherche le rapport à une corporéité, c'est-à-dire à la possibilité d'un geste autour duquel un espace se configure, un jeu de tensions s'anime, un être s'expose et se communique. À ce titre, le corps humain vaut moins comme figure entière et sujet d'une scène que comme parties, fragments, zones où se laissent saisir des intensités, des émotions, et les jointures, les allures et les touches grâce auxquelles il y a du sens – sensation, sentiment, « la vérité dans une âme et un corps », comme l'écrit Rimbaud.

Toute image part du corps – c'est-à-dire s'en sépare – et y revient. Georges Didi-Huberman

Nous cherchions à dessiner la silhouette des passants, à discipliner notre trait. Nous nous efforcions de découvrir très rapidement ce qu'il y a de caractéristique dans un geste, une attitude. Delacroix ne disait-il pas : On devrait pouvoir dessiner un homme tombant du sixième étage. Henri Matisse

 

9. Des plaisirs à dessein

A. Rodin, La Luxure
A. Rodin
La Luxure

Il arrive que le dessin veuille saisir, moins des scènes de plaisir (c'est affaire de « tableaux », voire de scénarios) que la forme d'un plaisir, l'élan de son désir, les rythmes et les inflexions propres de l'une ou l'autre des espèces de la jouissance ou de la joie : comment le sensible (car tout plaisir est sensible, y compris le plus spirituel) se plaît à se ressentir lui-même et à ne cesser d'aller plus loin dans la levée de sa propre « délectation » (selon le mot que Poussin choisit pour dire le but de son art).

Les rubriques sont ici : Eros – Dionysos – Musique – Danse – Toucher (drapé) – Extase. Ces représentations de plaisirs reconduisent toujours au plaisir de la représentation : au désir d'accéder à la vérité de ce qui excède.

Le dessin au trait est la traduction la plus directe et la plus pure de l'émotion. Henri Matisse

Cette très mystérieuse réalité qu'est le plaisir à ses moments d'accomplissement où l'on dirait que l'être en même temps monte et descend, sombre et vole, que l'homme un instant devient moins homme pour s'allonger à la fois du côté des dieux et du côté des bêtes, cela qui est immémorial et commun autant que la mort… Philippe Jacottet

 

10. Le dess(e)in hors du dessin

E. Sunday, Masai Shadows, Kenya, 1987
E. Sunday
Masai Shadows, Kenya, 1987

Hors du dessin proprement dit, il y a d'abord la peinture, avec laquelle pourtant la frontière ne peut qu'être indécise et mouvante. Mais il s'ouvre aussi une diversité de champs possibles pour l'exercice de ce qu'on peut nommer le « dess(e)in » : le désir de désigner la formation de la forme dans le mouvement d'une ligne qui peut se faire rayure d'écran, torsion de volume, extension solide, geste de l'installation, performance, etc.

Le choix d'œuvres se limite ici à quelques allusions ou suggestions.

Il faut qu'il y ait partout (j'entends dans toutes les œuvres de l'art) de la musique et du dessin. Joseph Joubert

Tout ce que ce beau mot de pantomime dit
Et tout ce que la langue agile, mensongère
Du ballet dit […]
Tout, et le dessin plein de la grâce savante,
Une danseuse l'a, lasse comme Atalante,
Tradition sereine, impénétrable aux fous.

Edgar Degas

Jouissance – aimer l'objet pour lui-même et pour nul autre motif. Léonard de Vinci

Bloc dossier de l’exposition
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Commissaires de l'exposition

Jean-Luc Nancy, philosophe,
Éric Pagliano, conservateur du patrimoine, pensionnaire à l'Institut national d'histoire de l'art,
Sylvie Ramond, directeur du musée des Beaux-Arts de Lyon.

 

Jean-Luc Nancy, philosophe, commissaire de l'exposition

Né en 1940, agrégé et docteur d'état en philosophie, Jean-Luc Nancy est professeur émérite à l'Université Marc Bloch de Strasbourg, où il a enseigné tout en étant régulièrement professeur invité de plusieurs Universités étrangères. Parmi ses  travaux, à côté des thèmes de la communauté, du Corps et de l'Adoration, la réflexion sur les arts et le travail avec des artistes occupent une place importante.

Il a écrit sur ou avec des artistes, des poètes, des photographes. Il a commenté des oeuvres célèbres (du Caravage, de Simon Vouet, de Pontormo), il a collaboré à une chorégraphie de Mathilde Monnier et il a travaillé sur le cinéma de Kiarostami. Principaux ouvrages sur l'art : Les Muses, Visitation –de la peinture chrétienne-, Le Regard du portrait, Au fond des images

 

Eric Pagliano , conservateur du patrimoine, commissaire de l'exposition

Eric Pagliano est conservateur du patrimoine depuis 1999. En 2000, il est nommé au musée des beaux-arts d'Orléans pour y étudier le riche fonds de dessins italiens. Cette étude a donné lieu à une exposition présentée en deux volets, de novembre 2003 à avril 2004, en raison du nombre important de pièces exposées (près de 300). Un catalogue accompagnait l'exposition.

Ses recherches tant anciennes qu'actuelles portent sur les conditions d'une représentation possible de la successivité littéraire et de certaines figures de style dans le domaine de la peinture, notamment la question de la péripétie dans l'œuvre de Nicolas Poussin, ou encore les lectures picturales de Boucher de textes de La Fontaine et d'autres auteurs, ainsi que sur les limites du discours dans le rendu descriptif de la peinture. Il a préparé en 2005, à partir d'un ensemble de dessins, une exposition-dossier à Orléans sur la notion de draperie dans la théorie de l'art en France aux XVIIe et XVIIIe siècles. Il a rejoint l'INHA en janvier 2005 en qualité de pensionnaire scientifique, et a intégré l'axe « Histoire du goût » pour travailler sur le répertoire des peintures italiennes conservées dans les collections publiques françaises.

Eric Pagliano travaille actuellement à deux autres projets : l'étude du fonds de dessins italiens du musée des Beaux-Arts de Lyon et celui du musée de Grenoble.

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