Hommage à Françoise Dupuy-Michaud

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Le musée rend hommage à Françoise Dupuy-Michaud, qui nous a quittés cette semaine. Françoise Dupuy-Michaud était une grande figure de la danse, chorégraphe et elle-même interprète. Elle avait choisi de donner en 2008 une grande partie de la collection de son père, galeriste, Marcel Michaud ainsi que les archives liées aux deux galeries qu’il avait créées à Lyon (Galerie Folklore) et à Paris (Galerie MAI). Le musée avait rendu hommage à son père lors d’une exposition présentée en 2011 : "Le poids du monde/ Marcel Michaud (1898 – 1958)".

Exposition Le Poids du monde – Marcel Michaud (1898 – 1958)

Le galeriste Marcel Michaud est l’une des figures les plus importantes du milieu artistique lyonnais dans les années 1930-1950. Ancien ouvrier tourneur, poète et militant, Marcel Michaud parviendra à faire de ses galeries à Lyon et à Paris « le lieu géométrique où tout ce qui touchait à l’art se rencontrait ». Sa fille Françoise Dupuy-Michaud a fait don en 2008 au musée des Beaux-Arts de Lyon de trente quatre oeuvres d’artistes défendus par son père. Cet ensemble s’ajoute aux oeuvres déjà acquises par le musée auprès du galeriste et de sa fille. Cette donation permet aussi de renforcer au sein des collections l’évocation du groupe Témoignage dont Marcel Michaud est un des inspirateurs de 1936 à 1940.

Galeriste, poète, critique, Marcel Michaud est à l’origine de la création de la galerie Folklore en 1938 où il diffusa l’oeuvre de nombreux artistes de l’avant-garde nationale et internationale. Fermée en 1968, la galerie fut le lieu de promotion d’un certain nombre d’artistes, représentés dans la donation effectuée par sa fille : Éliette Bation (née en 1921), Jean Bertholle (1909- 1996), Lucien Beyer (1908-1981), Camille Bryen (1907-1977), Pierre Charbonnier (1897-1978), Jean Couty (1907-1991), Oscar Domingez (1906-1957), Étienne-Martin (1913-1995), Raymond Grandjean (1929-2006), Claude Idoux (1915-1990), Jean Le Moal (1909-2007), Albert Le Normand (né en 1915), Émile Malespine (1892-1952), Jean Martin (1911-1996), Zelman Otchakovski (1905-1945), Émile Picq (1911-1951), Alfred Reth (1884-1966), Marcel Roux (1878-1922), Max Schoendorff (né en 1934), Louis Thomas (1892-1989), Dimitri Varbanesco (1908-1963). Le fonds d’archives, soigneusement préservé, qui comprend la correspondance de Marcel Michaud avec les artistes qu’il soutint, complète la donation. […]

De L’Effort à Folklore

Cette histoire mérite en effet d’être racontée car elle engage directement quelques grandes figures de l’art du 20e siècle mais aussi parce qu’elle en implique d’autres, plus discrètes ou restées à l’écart, mais non moins intéressantes. Elle rend également justice à une figure essentielle, qui parvint à faire de Lyon un foyer de la création vivante, et fit venir dans une ville, alors frileuse et traditionnelle, quelques-unes des créations les plus épurées du design. Rien ne semblait destiner Marcel Michaud à jouer ce rôle à Lyon : né dans une famille modeste, quittant tôt l’école après la mort prématurée de son père en 1908, ouvrier dans une usine d’accessoires automobiles, il vint au monde de l’art et de la culture en traversant celui du militantisme et de l’action politique. Sensible aux idées anarchistes, il rencontre, au début des années 1920, Georges Navel, qui devait décrire plus tard la condition ouvrière de la manière la plus aiguë. Mais c’est peut-être le docteur Émile Malespine qui devait peser le plus fortement sur son destin, un esprit original, lui-même artiste – comme en témoignent, dans la donation, une composition abstraite d’encres colorées et une Figure de théâtre – qui avait croisé Hans Arp et Sophie Taueber-Arp pendant la Première Guerre mondiale, puis Filippo Tommaso Marinetti en 1923 et que Michaud rencontre en 1924. Tous deux devaient s’engager, d’abord dans la création d’une compagnie de théâtre, Le Donjon, dans laquelle Michaud s’implique comme metteur en scène et acteur, puis dans celle de Donjon Section Films, le premier club lyonnais de cinéma. Malespine, en qui Michaud voyait « le seul intellectuel lyonnais lucide », encouragea son jeune acolyte en lui ouvrant l’accès au monde artistique. Michaud publie ainsi dans le journal ouvrier L’Effort, dès 1929, ses critiques et ses tentatives poétiques. Cette publication rendait compte régulièrement de la situation de la littérature, du cinéma ou des arts plastiques, accueillant les chroniques de Michaud et ses amis, Malespine, Jean Couty et quelques autres, publiant également des textes de Paul Éluard, André Breton ou Le Corbusier. C’est cependant à partir de 1934 que Marcel Michaud décide d’ouvrir une galerie dédiée, non à la peinture ou la sculpture, mais au design moderne. Faisant affaire avec la société suisse Wohnbedarf de Zurich, Michaud fonde la société Stylclair, 43, rue de la Bourse, qui diffuse notamment les meubles de Marcel Breuer et d’Alvar Aalto. Quelques années plus tard, en 1938, Michaud crée la galerie Folklore, 23, rue Thomassin à Lyon, où les créations du design vont voisiner avec l’art africain et l’artisanat. Entreprise commerciale, mais aussi lieu de diffusion des idées et des productions de l’avant-garde internationale : si Michaud n’a pas donné de « doctrine » en la matière, Malespine fit dans L’Effort l’apologie du Bauhaus, plus particulièrement de Marcel Breuer, qui avait dans ses meubles réconcilié l’art et la vie industrielle moderne. […]

Le Groupe Témoignage

Ce lieu forcément soumis aux obligations du commerce qu’était Folklore accueillait en même temps un mouvement artistique né en 1936 : Témoignage. Le salon d’Automne organisé à Lyon cette même année avait permis, d’une manière assez impromptue, à un groupe d’artistes de se rallier à ce nom aux accents philosophiques, peut-être même religieux. Le groupe va, au départ, se fédérer autour de sept artistes – parmi lesquels Jean Bertholle, Jean Le Moal – à Grenoble à la fin de l’année, dans une exposition qui se tint au magasin L’équipement de la maison au Majestic-immeuble. Jean Le Moal avait été élève à l’École des beaux-arts de Lyon entre 1926 et 1928 ; Jean Bertholle y étudiait entre 1930 et 1932, y rencontrant Étienne-Martin, qui depuis la Drôme s’était installé à Lyon, où il vécut entre 1928 et 1933. Les mêmes artistes partent à Paris en 1933, où ils viennent suivre la leçon d’une des personnalités les plus fortes du moment, Roger Bissière, collaborant occasionnellement avec ce dernier, comme ils le feront en 1937, à l’occasion de l’Exposition universelle, où ils travaillent au décor du Pavillon des Chemins de fer. Mais c’est à Lyon qu’ils décideront de se grouper avec quelques autres artistes. A ce moment, Jean Le Moal multiplie les variations sur le thème de la paix dans un climat d’inquiétude suscité par la montée des périls : l’Étude pour la paix (1935) en donne une version mélancolique, là où La Paix malade (coll. part.) en livrait une interprétation affligée. Jean Bertholle – qui signe alors « Aleric » – peint de son côté des toiles habitées par des créatures à l’allure de mantes religieuses, s’approchant ainsi de l’imaginaire surréaliste, à distance de l’univers fantastique et onirique de Dimitri Varbanesco dont les êtres hybrides gardent un rapport à l’humain. Création mystérieuse en l’état, et qui méritait une enquête plus minutieuse, afin de saisir les mobiles, les intérêts communs, les solidarités, les hasards ayant rendu possible cette formation d’un groupe qui, dès 1937 et 1938, expose sous la bannière « Témoignage » au salon d’Automne de Lyon, en 1938 et 1939 à la galerie Matières puis Matières et Formes de René Breteau à Paris ainsi que dans l’atelier de René-Maria Burlet, en 1938. La liste changeante des personnalités qui s’engagent dans l’organisation de ces expositions et qui appartiennent pleinement à Témoignage comprend douze noms : Jean Bertholle, Jean Le Moal, Étienne-Martin, Lucien Beyer, René-Maria Burlet, Jean Duraz, César Geoffray, Jacques Porte, Joseph Silvant, François Stahly, Louis Thomas, Dimitri Varbanesco.  Occasionnellement, des artistes aussi insignes que Roger Bissière, Anne Dangar, Alfred Manessier, se verront par leur nom ou leurs oeuvres associés au groupe Témoignage, entre 1936 et 1940. Une revue lyonnaise, Le Poids du monde, sise 122, rue Saint-Georges, donne alors au groupe une voix doctrinale et poétique. L’acte de naissance du groupe est consigné de la manière la plus évasive, légère en même temps qu’ambitieuse, dans le
journal de bord apparemment tenu par Marcel Michaud :

« Un groupe d’hommes jeunes se rencontrent en un point du globe et joignent leurs coeurs à Lyon.
De là naît, le 22 décembre 1936, à 0h27,
un élan qui bondira dans l’Art :
Littérature, Musique, Peinture, Sculpteur, Esotérisme, etc…
La Vie, quoi
Tirée par eux
Sur la presse à bras
Leur Revue
“Le Poids du Monde… porté par les sensibles” s’efforcera 12 fois l’an
d’être un pont entre tous les hommes, et un pont neuf.
Un Cri… puis le … Style. »

Que ce soit Michaud qui puisse se faire spontanément l’historiographe du groupe laisse deviner le rôle qu’il joua dans sa constitution. Le terme « ésotérisme », chez un autodidacte qui avait lu avec fascination René Guénon, une des figures les plus célèbres de l’occultisme français de la première moitié du 20e siècle, fait apparaître la tonalité spiritualiste que Michaud entendait donner au groupe. De façon plus générale, la religiosité qui imprègne Témoignage et nombre des oeuvres des artistes qui s’y rallièrent, faisait à la fois écho à une demande contemporaine dans les avant-gardes et à un tropisme lyonnais. Michaud avait très tôt rencontré Albert Gleizes à Moly-Sabata, sur la rive du Rhône, dès 1930-1931. Cette rencontre avec un des grands acteurs et théoriciens du cubisme allait conforter chez Michaud l’idée que la création artistique la plus exigeante et une gnose moderne devaient aller de pair. Le critique lyonnais René Deroudille devait résumer cette synthèse complexe voulue par Michaud : « […] depuis le groupe Témoignage, c’est une recherche de spiritualité qui associe leur intérêt surréaliste et un intérêt chrétien. De la même façon qu’Orsel a voulu baptiser l’art grec, Marcel Michaud a voulu baptiser le surréalisme »

De Témoignage à Folklore

Quatre numéros seulement du Poids du monde sortiront des presses, entre 1937 et 1940. Éphémère revue pour un groupe tout aussi éphémère : la mobilisation en 1939, puis la guerre, auront raison de cette association qui se dissoudra vite, en dépit des efforts de Marcel Michaud pour faire survivre Témoignage. Lorsque Michaud organise, en 1940, une exposition collective sous le même nom, Témoignage, dans sa galerie Folklore, prolongée par d’autres expositions d’artistes du groupe en 1942 et 1943, le mouvement a en réalité cessé d’exister. Folklore s’est substitué au mouvement. Si Michaud expose alors principalement, entre 1940 et 1946, des artistes vivant à Lyon, il n’hésite pas à se risquer à faire venir, une fois la guerre terminée, de parfaits inconnus pour le public local, comme Bram van Velde exposé dès juin 1946. Le galeriste Edouard Loeb avait alors été à l’origine de cette rencontre. Les relations avec les galeristes parisiens n’avaient pas été interrompues par la guerre ; la Libération permet à Michaud de diriger à Paris, la même année 1946, la galerie M.A.I. (Meubles, Architectures, Installations). La situation de la galerie restait certes marginale car provinciale, à une époque où une ville comme Lyon paraissait comme rayée du monde […]. Elle n’en était que plus disponible aux ouvertures extérieures que Michaud et quelques autres s’ingéniaient à faire fructifier. Invité, aux côtés de Jean Cassou et Daniel-Henry Kahnweiler, Christian Zervos et René Jullian, à introduire le catalogue de l’exposition Picasso du musée des Beaux-Arts, en 1953, Marcel Michaud, qui avait sans nul doute aidé avec Zervos à ce que cette grande exposition puisse se tenir, l’une des premières  organisées dans un musée public, relevait avec quelque dépit le centralisme parisien et l’indifférence provinciale, qui faisait qu’un grand artiste vivant pouvait être « inconnu à 400 kilomètres et célèbre à 4000…1 ». Dans sa galerie lyonnaise, mais aussi au musée des Beaux-Arts de Lyon, Marcel Michaud devait oeuvrer, aux côtés d’un amateur et critique d’art, René Deroudille, et en accord avec Jullian, le conservateur du musée, à faire de Lyon un foyer de la création vivante.

De Folklore à M.A.I.

Si l’aventure de Marcel Michaud, des groupes et des galeries qu’il anima ou créa, est essentiellement lyonnaise, elle n’en a pas moins connu, avec un succès mitigé, des
développements parisiens. Ce dont témoigne sa collaboration à la galerie M.A.I. (Meubles, Architectures, Installations), fondée à Paris par Yvonne Zervos en 1939, 12 rue Bonaparte, et dont Michaud assure la direction de 1946 à 1951, date à laquelle il cède ses parts de la société. Avant d’être présenté à Lyon, Bram van Velde est à l’affiche, pour l’ouverture de la galerie M.A.I., dans une exposition inaugurée le 21 mars 1946, présentant la quasi-totalité de son oeuvre, à ce moment, soit vingt-cinq toiles et gouaches. […]

Cette exposition inaugurale coïncida avec la publication du premier article consacré aux frères Van Velde par Samuel Beckett, dans Cahiers d’art intitulé « Le monde et le pantalon ».

En 1950, Marcel Michaud témoigne cependant d’une certaine amertume quant aux possibilité offertes par la galerie M.A.I. Il confie à Étienne-Martin : « Ainsi que je vous l’ai dit, il ne nous sera pas possible de faire une galerie genre Carré ou Maeght et nous devons vivre en exerçant un commerce. Les meubles Aalto, Breuer, Le Corbusier peuvent, je crois, y être exposés sans porter préjudice à la tenue de la galerie. Au point de vue art, nous défendrons d’une façon permanente à Lyon et Paris les 5 ou 6 artistes que nous estimons et dont naturellement, vous êtes un des premiers.

Étienne-Martin et Bram van Velde

À la mort de Marcel Michaud, sa femme, Jeanne Michaud, poursuivra l’activité de la galerie Folklore jusqu’en 1968. La mémoire de cette galerie a été depuis lors assurée par leur fille, Françoise Dupuy-Michaud. Alors que le principe de la donation de la collection et des archives Michaud était formalisé, le musée des Beaux-Arts de Lyon a acquis auprès de Françoise Dupuy-Michaud, avec un pot d’Anne Dangar, deux oeuvres essentielles qui symbolisent l’action du poète et du galeriste, dans son activité lyonnaise comme dans son ouverture envers les artistes les plus importants de leur temps, dont la voix ne parvenait cependant pas alors à se faire entendre à Paris. Étienne-Martin, tout d‘abord, auteur d’un Masque du galeriste en 1941 : sa Pietà de 1945, fait peut-être écho au milieu spiritualiste lyonnais, mais elle est en même temps, aux côtés des oeuvres de Henri Matisse et de Germaine Richier, l’une des expressions les plus abouties de l’art religieux des années 1940. A première vue, elle fait penser à une sculpture primitive, par l’accentuation de certains traits des figures (le visage et les mains notamment). Le thème chrétien de la Pietà combiné à des sources formelles océaniennes et à une inspiration proche de l’expressionnisme d’un Ernst Barlach, lui donne toute sa portée universelle. Rappelons que Françoise Dupuy-Michaud avait déjà fait don au musée en 1996, en souvenir de ses parents, d’une oeuvre essentielle du sculpteur : La Sauterelle exécutée en 1933 au cours de sa formation à l’Académie Ranson. Quant à la composition de Bram van Velde, Sans titre, sans doute peinte à Montrouge vers 1937-1938, elle fait partie de celles qui furent exposées à la galerie M.A.I. en 1946. Sa composition où domine le motif des triangles et des chevrons, est comme ramenée à la surface du tableau : elle ne suggère plus aucune profondeur. Cette peinture est aussi caractéristique du processus de défiguration initiée par le peintre dès les années 1930 et qui sera pleinement accompli en 1941. À peine subsiste-t-il quelque allusion à un masque africain ou à une tête cubiste. Elle annonce, dans son implacable dénuement, la volonté qui allait réunir, isolément, parfois collectivement, en France, en Europe ou aux États-Unis, des artistes qui entendaient, au sortir de la guerre, « repartir à zéro » et reprendre la peinture comme si elle n’avait jamais existé.