Lettre de Jean-François Champollion à François Artaud (Grenoble le 23 février 1826)

Lettre de Jean-François Champollion à François Artaud
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                                Grenoble le 23 février 1826

Que devez-vous penser de moi, Mon cher ami ? Il me serait bien difficile en effet de justifier un silence assez prolongé de ma part pour que vous ayez le droit de m’accuser sinon d’indifférence, au moins d’une paresse un peu trop décidée. Cependant il n’en est rien et le seul motif qui m’ait empêché de vous donner de mes nouvelles,  était l’impossibilité où je me trouvais jusques à présent de vous dire quelque chose de positif sur mes plans futurs et ma destination ultérieure. Mais enfin le voile est déchiré et voici où en sont les choses.

L’acquisition de la collection égyptienne de Livourne est enfin décidée. L’excellent Duc de Blacas qui vous en avait parlé, s’est montré pour cette affaire, tel que je l’ai toujours vu, le protecteur le plus ardent et le plus éclairé de la science. C’est à sa seule protection que l’Égypte ancienne devra de sortir de sa vieille poussière ; et en ma qualité d’Égyptomane, vous pouvez croire, que j’ai élevé dans mon cœur une stèle de reconnaissance à notre excellentissime Duc. Je suis à lui à la vie à la mort.

Je partirai donc mercredi prochain (1er mars), muni de pleins pouvoirs du Ministre de la Maison du Roi, pour aller à Livourne prendre possession du Musée égyptien, que j’y ai trouvé à mon premier voyage : cette collection a été formée par M. Salt, consul général d’Angleterre en Égypte : elle renferme de plus beaux papyrus que ceux de la collection Drovetti, et des monuments colossaux du 1er ordre entre autres le tombeau royal en granit rose du pharaon Ramsès-Meiamoun, grand-père de Sesostris, un temple monolithe, quelques statues, des bronzes admirables, et une collection stupenda, d’ustensiles et d’instruments de tous les arts et de tous les métiers de l’Égypte. Vous devez juger quelle doit être mon impatience de mettre  la main sur ces divers objets ; nous aurons enfin à Paris un Musée égyptien et c’est aux Ducs de Blacas et de Doudeauville que nous en sommes redevables. Le Barbare Corbière n’est pour rien dans tout cela. C’est la Maison Du Roi qui a tout fait. = Je vous parle de tout cela de vous à moi ; il importe que cette acquisition reste secrète jusqu’à ce que le Moniteur en informe officiellement les Intrigants-Spéculateurs qui n’ont cessé de manœuvrer à Paris pour faire préférer à l’immense collection de Livourne, la collection de poche du Sr Passalacqua dont les journaux ont parlé en débitant force pauvretés et absurdités qui, toutes, ne sortaient point de la tête de notre ami Lenoir des Petits Augustins. Je m’attends à des clameurs sans nombre de la part de ces messieurs, aussitôt que l’affaire sera connue ; mais j’en ai pris mon parti d’avance : en attendant le bien se fait ; la science marchera e va benone !

Je resterai deux mois au moins à Livourne : de là j’irai revoir les obélisques de Rome et faire une seconde visite à Pompeia et à Paestum ; je m’arrêterai aussi à Florence : en tout et partout je suis à vos ordres et je les attends d’ici mercredi - plus tard écrivez-moi à Livourne - n’oubliez point les calques des deux premières lignes de chaque papyrus de M. Sallier ; s’il y a des frais, ils seront à ma charge.
Je vous embrasse donc de cœur, Mon cher ami, en attendant de vos nouvelles courrier par courrier.
Dites-moi donc à qui il faut écrire pour remercier l’Académie de Lyon : est-ce au secrétaire ou au Président ? Je n’ai point de lettre d’avis qui puisse me servir de règle. Un mot à ce sujet. Tout à vous.

J.F. Champollion le Jeune